Cela faisait plusieurs années déjà que j’étais professeur à Poudlard, enseignant la médecine magique moderne, et je pensais pouvoir affirmer sans me tromper que chaque nouvelle rentrée était toujours pour moi quelque chose de magique. Sans mauvais jeu de mots – évidemment que Poudlard était magique, c’était l’essence même de l’école et de son enseignement… Non, ce que je voulais dire, c’est que c’était toujours un moment merveilleux, qui me rappelait à chaque fois à quel point j’étais chanceux. Chanceux, oui, car ma condition de loup-garou me fermait beaucoup de portes, et ce malgré mes excellents résultats… Mais rien n’est vraiment juste, dans la vie. Etait-ce juste que certains innocents se retrouvent soudainement maudits comme je l’étais ? Je n’avais rien fait pour mériter ça, pourtant. Mais j’avais cessé de me poser cette question depuis longtemps, j’avais accepté avec plus ou moins de résignation ce que j’étais, bien que je ne l’assumais toujours pas réellement. Oui, j’en avais honte, j’étais un monstre, peu importe ce que certain pouvait dire pour me rassurer ; ils n’avaient jamais vu la Bête.

C’est pourquoi, même dans le Poudlard Express, dans le wagon réservé aux professeurs, je me calais généralement dans un coin et attendais que les heures passent jusqu’à ce que nous arrivions, feignant le sommeil – quand je ne dormais pas pour de vrai. Oui, je pouvais être une véritable marmotte dans les transports… C’est peut-être pour ça que je n’avais pas remarqué, alors, emmitouflé dans mon manteau et contre la vitre, que l’un de mes nouveaux collègues n’était personne d’autre qu’Ansel Strike. Une connaissance ? Oh oui. Plus que ça, même : mon meilleur ami, lors de ma scolarité. Par la suite, avec ce qui m’était arrivé, je n’avais que peu gardé contact… Et c’est pour cela que je n’avais pas immédiatement fait le lien. Je pense. Je suis un peu tête en l’air, aussi, quand je suis concentré dans mes cours et ma médicomagie – quand ce n’est pas ma lycanthropie – on peut me dire des choses qui passent par une oreille et ressortent par une autre.

Enfin bref, je n’ai compris de qui il s’agissait que lorsque, arrivé au château, j’ai pu poser mon regard sur lui. Ce fut comme un choc, tout à coup, et je me demandais comment est-ce que j’avais fait pour ne pas y penser avant. Ansel, évidemment, Ansel ! Quel ami je faisais, quel idiot j’étais ! Je me sentais con comme un piquet, soudainement. Il fallait que j’aille le voir, n’est-ce pas ? Le saluer ? Oh par Merlin, j’espère qu’il ne m’en veut pas trop pour… Pour tout ? Je ne sais pas. J’ai l’habitude qu’on me reproche des choses… Aller Edwardian, un peu de courage ! J’avançais vers lui, avec mon sourire timide collé aux lèvres, mais heureux de le voir ici.

« Hey… Ansel ! » Je me demande soudainement si je dois lui rappeler qui je suis. Non – non, je me sens vraiment idiot. Au pire, je le lui dirais plus tard, mais… On n’avait pas tant changé que ça. Si ? « Bienvenu à Poudlard, encore ! De l’autre côté du rideau. Et pour une fois, c’est moi qui ai plus d’ancienneté que toi. » Je pensais qu’il serait difficile de parler de manière naturelle, mais… Ca coulait tout seul, plus ou moins. Je me demandais soudainement s’il savait, pour ma lycanthropie. Normalement, le corps enseignant était mis au courant, mais s’il avait écouté aussi bien que moi quand on avait annoncé sa venue… « Je suis content de te revoir, ça faisait un moment. » Et c’est entièrement de ma faute.

Mon sourire s’étira sur mes lèvres à mesure que je parlais – et surtout qu’il me répondait. Parfois, je me disais que j’avais été un tel idiot de m’être renfermé sur moi-même, durant ma jeunesse. J’avais certainement manqué les plus belles années de ma vie ; mais il suffisait que je me dise pour me rappeler que, quelque part, ma vie était plus ou moins manquée. Dans la grande roulette de la vie, j’étais tombé sur la mauvaise case, j’avais tiré la mauvaise carte, pioché le mauvais lot. Mais je n’y pouvais plus rien, actuellement, à moins qu’on ne trouve un remède miracle, alors… Autant ne pas y penser, j’avais plus gai à penser. Et gai « gai », pas « gay », hein, aucun mauvais jeu de mots, merci… Heureusement que je n’avais jamais eu de complexe vis-à-vis de mes préférences sexuelles, d’ailleurs, ce qui en étonnait parfois plus d’un. Heureusement, oui, car si je devais ne pas assumer d’être homosexuel en plus de ne déjà pas assez d’être un loup-garou… Cela ferait peut-être un peu beaucoup. Enfin ! Il fallait vraiment que j’apprenne à trier mes pensées et à ranger mes idées noires au placard. Plus facile à dire qu’à faire. En tous cas, Ansel semblait lui aussi heureux de se retrouver ici, à nouveau, mais dans le monde des adultes.

« Je pense qu’à moins d’être vraiment déterminé à prendre la place d’un de nos professeurs, personne ne s’attends vraiment à remettre les pieds ici, un jour. » fis-je avec un petit gloussement. « L’ouverture des branches d’étude supérieure est une véritable chance. »

J’hochais légèrement la tête, plutôt content. Un peu fier, aussi. De la chance, j’en avais beaucoup eu, en étant engagé ici. Je croisais doucement les bras en l’entendant me dire que lui aussi était content de me voir, accusant (en revanche) son reproche de ne pas lui avoir donné de nouvelles. Oh, il n’avait l’air spécialement traumatisé, ni vraiment déçu que je ne lui en ai pas donné – certainement me disait-il cela en plaisantant – mais je m’en voulais déjà bien assez pour deux. C’est vrai que je me sentais un peu idiot. Ansel avait tout de même été l’un de mes plus proches amis, pour ne pas dire le plus proche, et… Il ne savait presque plus rien de moi. C’est vrai qu’il m’avait semblé difficile de raconter aux autres, connaissances et amis, ce que je devenais sur le plan professionnel, social ou relationnel, sans leur dire ce que j’étais devenu. Or, je préférais largement que cela ne se sache pas… Peut-être étais-je un peu solitaire, après tout. Ou solitaire par la force des choses. Néanmoins, je lui répondais avec un sourire ;

« Oh, pas grand-chose, tu sais… Ce que je suis devenu ne me permet pas d’être grand-chose de plus. J’ai vraiment eu beaucoup de chance qu’ils aient bien voulu me prendre ici pour enseigner la médicomagie moderne. » j’haussai légèrement une épaule, avant de lui retourner la question ; « Et toi ? Qu’est-ce que tu faisais avant d’arriver ici ? »

Peut-être que cela pouvait ressembler à de la politesse, mais j’étais réellement curieux. Maintenant que je le revoyais, je me demandais ce qu’il lui était arrivé, à lui, depuis la dernière fois où nous nous étions vu jusqu’à aujourd’hui. Le connaissant, sa vie avait dû être un peu l’opposé de la mienne, mais… Je pouvais me tromper, après tout.

Un sourire un peu confus et désolé s’esquissa sur mon visage. Si j’ai été un mauvais garçon ?... En voilà, une excellente question. Est-ce que j’ai été un vilain garçon, et qu’une force inconnue et supérieure – le destin ? – m’a puni en me faisait mordre par un Loup-Garou, me faisant devenir l’une de ces horribles et hideuses créatures ? Je ne sais pas. C’était une question à creuser. Je sais que certaines personnes, comme Hilderic, me soutiendrai le contraire, mais, eh… Pourquoi pas ? Je cherchai néanmoins dans le regard de mon petit camarade un indice. Sous-entendait-il par là même ce que j’étais, sans prononcer le mot, ou ?... Non. Comme moi qui n’avais pas fait attention à la lettre reçue, peut-être n’avait-il pas fait attention à la note reçue me concernant ?... Je me devais tout de même de le rectifier. Mon teint s’empourpra légèrement ;

« Un mauvais garçon mordu par un loup, oui. Et être Loup-Garou ferme plus de portes que cela n’en ouvre… »

J’haussais légèrement une épaule. J’avais appris à faire avec, et à présent, je n’avais plus vraiment de quoi me plaindre. Sur le plan professionnel, du moins, car si je remontais la pente quand à ma condition, je… J’avais des hauts et des bas. Si j’avais tenté de lui annoncer cela avec humour, il y avait toujours une pointe de nostalgie au fond de ma voix. L’inquiétude, du moins, passa dans mes yeux lorsqu’il me parla de son accident.

« Oh, je vois… Rien de trop grave, j’espère ? »

Je l’observai, je l’espère, discrètement. Pour tenter de découvrir quoi ? La trace d’une cicatrice, peut-être. Des blessures ? Mais je ne voyais rien – jamais je n’aurai pu deviner que cela avait touché ses yeux – et me rassurait légèrement… Quoi que, du coup, je trouvai cela quelque peu étrange. Mais passons ; tant qu’il était toujours là, debout et entier… Ça m’allait, je suppose.

« Edwardian Cameron, professeur de médecine magique moderne. » répondis-je ave un léger rire.

Loin de me douter qu’en fait, il ne m’avait pas reconnu, je me laissais avoir à son petit jeu. Il avait le chic pour me détendre, tiens ; il avait toujours été comme ça… Du moins, il me semble. Toujours rieur, taquin, à s’amuser. Je dois bien avouer, maintenant que j’avais grandi et que je ne me cachait plus derrières mes livres et mes désillusions, que je me morfondais plus seul dans le noir en me disant que la seule chose que je mériterai, c’est la mort… Des amis comme lui m’avait manqué ; il m’avait manqué.