« Lève-toi. Tu peux le faire. C'est facile. Tu enlèves la couette, tu poses tes pieds hors du lit et c'est bon. Allez, Anna. Lève-toi, putain. »

Il y a des fêlures qu'on ne répare jamais vraiment. Des cassures qui laissent leurs marques indélébiles dans les coeurs et sur la peau, qui semblent crier " regarde-moi, j'ai souffert ". Anna ne croyait pas qu'on pouvait avoir un chagrin d'amour pour toujours. Ce n'était pas possible et de toute façon, l'existence d'âmes soeurs était pour elle ridicule. On aime, on se sépare et la vie continue. Pourtant, les récents évènements avaient bien prouvé une chose : les chagrins d'amitié étaient dévastateurs. Ceux-là, on ne les oubliait pas en se bourrant la gueule et en rentrant avec un joli garçon. Ils grignotaient l'intérieur. Ils se faufilaient et mordaient là où cela faisait le plus mal. Ils rendaient les souvenirs mélancoliques, annihilant le passé qu'on s'était construit.

Anna regardait le plafond depuis une heure. Une heure entière, sans bouger. Elle réfléchissait mais pour être honnête, c'était plutôt de la torture délibérée. Elle essayait de se rappeler dans l'ordre toute son histoire avec Jade. Leur rencontre, leurs fous rires, les secrets échangés tard le soir, les disputes sans importance, les embrassades alcoolisées, elle se souvenait de tellement de choses. De trop de choses, peut-être.

Parfois, les larmes venaient et elle battait rapidement ses paupières pour les chasser. Anna ne voulait plus pleurer. Elle doutait même en être capable, après ces derniers jours. La douleur lui étreignait tellement le coeur qu'elle pensait qu'elle allait crever sur place.

« Lève-toi. »

Il y avait une partie d'elle - celle dont elle était la plus fière - qui ne baissait pas les bras. À aucun moment. Chaque jour, Anna s'obligeait à manger un petit truc, à dormir le quota minimum d'heures pour être capable de marcher, à socialiser et à sourire. C'était cette partie qui la poussait à quitter sa couette depuis qu'elle était réveillée.

Elle soupira. Bon. Elle n'allait pas rester éternellement dans son lit. Faisant un véritable effort sur elle-même, la jeune fille s'arracha à la contemplation du plafond et se leva.
Le dortoir était étonnamment vide pour un samedi matin mais elle ne s'en préoccupait pas. Elle se fichait bien de l'endroit où étaient ses camarades.

Elle bailla, s'étira et se dirigea vers la salle de bain. Son pyjama - le traditionnel t-shirt trop grand avec un short - était mouillé de sueur. La Gryffondor dormait mal en ce moment. Elle alternait entre longues insomnies et cauchemars terrifiants. Un bref coup d'oeil au miroir la fit grimacer. Elle avait vraiment une sale gueule. Qu'est-ce qui était pire ? Ses cheveux gras emmêlés, ses immenses cernes, ses yeux rougis par le manque de sommeil et les sanglots ou cette détestable impression d'être devenue son propre fantôme ?

- Tu te laisses vraiment aller, murmura-t-elle en russe à son reflet.

Anna avait l'habitude courir quatre fois par semaine dans le parc de Poudlard. Enfin, ça c'était avant. Ce manque d'activité physique commençait à se voir. Bon, elle n'avait pas pris de poids mais son visage s'était légèrement arrondi. Elle se sentait bouffie. Elle se sentait moche et seule et abandonnée et...

Il fallait arrêter de s'apitoyer sur soi-même. Quoi, elle allait passer sa vie à chialer sur deux personnes qui n'en valaient pas l'intérêt et qui l'avaient trahie ? Non. Elle était Anna Ivanov. Son arrogance reprit le dessus. On la respectait, bon sang, elle était considérée comme une véritable princesse en Russie !

Elle se secoua et fonça dans la douche.

Une demie-heure plus tard, les perspectives d'avenir étaient déjà meilleures. Incroyable l'effet que pouvait avoir l'eau bien chaude. Elle se maquilla rapidement. Anna sortit sa crème miracle, sans doute son produit de beauté préféré. La texture faisait penser à de la gelée et une fois sur son visage, elle retrouva instantanément bonne mine. Adieu les cernes et la peau terne. D'un geste habitué, elle appliqua son mascara et du rouge à lèvres sombre sur ses lèvres pulpeuses.

Elle mit son uniforme. Le noir l'avait toujours mise en valeur et sa jupe soulignait ses jambes longilignes. C'était mieux comme ça. Elle reprenait peu à peu son apparence habituelle.

Elle rejoignit la chambre. L'horloge magique indiquait onze heures et demie. Trop tard pour le petit-déjeuner. L'adolescente farfouilla dans sa valise à la recherche de quelques sucreries pour combler son ventre qui criait déjà famine. Elle enfourna dans sa bouche les cinq chocogrenouilles qui lui restaient.

En toute franchise, Anna n'avait pas fait un tel effort pour le simple plaisir de reprendre sa vie en main. Comme souvent le samedi après-midi, elle avait rendez-vous à la bibliothèque avec Honoria. Les deux demoiselles s'étaient rencontrées il y a bien longtemps et elles entretenaient une relation cordiale. On pouvait presque dire qu'elles étaient amies. Toutefois, leur entente reposait plutôt sur le fait qu'elles étaient ambitieuses et aimaient travailler. Elles faisaient leurs devoirs ensemble, s'aidaient et surtout, se mettaient en compétition. En effet, quel plaisir de finir avant Honoria ! À chaque fois qu'Anna finissait ses exercises avant sa camarade, elle ressentait un plaisir jouissif. Bon, elle devait admettre qu'elles étaient souvent à égalité mais quand même ! Et puis... Honoria était jolie. Vraiment jolie.

Anna réunit d'un coup de baguette ses livres, parchemins et plume. Elle avait été trop paresseuse ces derniers temps, n'ayant pas la tête à plancher sur ses études. Maintenant, elle avait du retard un peu partout et il fallait à tout prix qu'elle finisse sa dissertation en Études Géopolitiques du Monde Magique ou elle allait se faire tuer. Déjà qu'elle ne comprenait rien à la matière...

Elle fourra le tout dans son sac. Bon, elle avait rendez-vous avec Honoria vers treize heures mais rien ne l'empêchait de commencer seule. Elle descendit du dortoir des filles, passa en coup de vent dans la salle commune - où des élèves jouaient aux échecs, riaient, se chamaillaient - et marcha en direction de la bibliothèque. Elle croisa quelques Serdaigle qui l'ignorèrent royalement.

Arrivée à sa destination vingt minutes plus tard - elle adorait flâner, elle n'hésita pas deux fois et s'installa à leur table attitrée, cachée derrière un rayon de livres, bien à l'abri des regards curieux. Anna ressortit ses affaires.

Passons aux choses sérieuses maintenant.

Sa plume à la main, elle commença à réfléchir à ce qu'elle allait bien pouvoir inventer pour se sortir de cet enfer de dissertation.